Feel good

Publié le 4 Février 2021

Feel good

Voici un roman signé Thomas Gunzig repéré et acheté l'année dernière au lycée. C'est une double satire sociale de la précarité des travailleurs pauvres et aussi du milieu éditorial. Elle est illustrée par les parcours et la rencontre de deux personnages. Alice, la quarantaine, mère célibataire d'un enfant de sept ans, vendeuse au chômage qui a de plus en plus de mal à joindre les deux bouts. Tom (tiens, comme Thomas), un poil plus âgé, "écrivain moyen" sans succès qui vivote en écrivant des romans bizarres, largué par sa femme et incompris de sa fille.

 

L'écriture fluide dépeint avec justesse le parcours d'Alice puis de Tom, rendant les personnages à la fois sympathiques et déplaisants. J'ai surtout apprécié la sensibilité pragmatique avec laquelle Thomas Gunzig traite de la précarité : le fait de compter chaque euro dépensé, d'être "tout juste" à chaque quinze du mois, de faire une dépense inconsidérée pour gâter son fils en lui achetant des céréales pour son petit-déjeuner. Le personnage de Séverine, amie d'enfance perdue de vue mais dont des bribes de sa vie dorée sont aperçues sur les réseaux sociaux, permet de mettre en lumière l'écart existant avec un milieu social bien plus aisé. J'ai adoré que ce personnage devienne le lecteur cible du roman pensé par Tom et Alice dans la deuxième partie du récit. Alice va peu à peu s'engluer dans une recherche d'argent pressante, jusqu'à envisager de se prostituer. Le manque de perspective et l'indifférence généralisée dans laquelle elle se débat vont ensuite la mener à imaginer une solution complètement farfelue pour tenter de sortir la tête de l'eau : enlever un enfant et en demander une rançon. Par un concours de circonstances plus farfelu encore, c'est Tom qui sera destinataire de sa demande, alors qu'il n'est pas le parent de cette enfant. À partir de là, un binôme va se former pour le pire, le meilleur, et l'écriture d'un roman.



L'auteur épingle d'ailleurs avec une certaine jubilation le milieu littéraire : la recette d'écriture d'un roman à succès, la fabrique éditoriale qui manie réputations usurpées et marketing ciblé... Il fait part de réflexions intéressantes sur la façon d'écrire : comment on nourrit son inspiration, dans quelles limites on peut être à la hauteur de sensations réelles (pour des scènes érotiques par exemple)... Malheureusement, il me semble qu'il charrie aussi des clichés sur le travail d'écriture.

 

C'est souvent drôle. Le ton est alerte. Le style fluide malgré des énumérations et répétitions de paragraphes entiers. Il y a quelques retournements de situation bien amenés. En revanche, j'ai finalement été déçue par la tournure prise par le récit. Les personnages, tels des adolescents inconséquents, s'engagent dans une démarche totalement invraisemblable. Leur fuite en avant ne peut pourtant que les mener à la catastrophe. L'identité du bébé kidnappé ne sera jamais trouvée. Ils ne seront finalement pas inquiétés. Et tout est bien qui finit bien ?! Ce manque de crédibilité ajouté à des scènes ou allusions sexuelles crues voire vulgaires m'ont été déplaisants. Le roman Feel good n'en est pas un mais nous en donne ironiquement la recette (voir la citation ci-après) : j'ai apprécié cette mise en abîme de la rédaction d'un feel good book. J'ai donc refermé le livre de Thomas Gunzig partagée par différents sentiments face à l'invraisemblance de son intrigue et de son dénouement et face à sa loufoquerie prosaïque. À découvrir pour vous faire votre propre idée de son gai pessimisme.

 

_ Bon... Très bien... Alors il faudrait d'abord se décider pour le genre... Dans ce qui fonctionne, dans ce qui se vend bien, il y a le roman policier, il y a le roman "dans l'air du temps" (aujourd'hui ce serait un roman sur le harcèlement, la domination masculine ou les relations toxiques), et il y a le feel good book. Le policier, c'est peut-être est un peu compliqué parce qu'il faut trouver une bonne intrigue... Des rebondissements... Le feel good, c'est plus simple.
_ C'est quoi le feel good book ?
_ C'est un "livre pour se sentir bien". En gros, on doit présenter la vie sous un angle positif, faire des portraits de personnages qui traversent des épreuves compliquées mais qui s'en sortent grandis.

Ce sont des histoires dans lesquelles l'amitié triomphe de l'adversité, dans lesquelles l'amour permet de surmonter tous les obstacles, dans lesquelles les gens changent mais pour devenir meilleurs que ce qu'ils étaient au début...
_ Aaaaah, il faut parler de résilience et de conneries comme ça ?
_ Oui, par exemple, il y a pas mal de psychologie. Mais de la psychologie à trois sous, des notions pas du tout approfondies, des choses très basiques que le lecteur saisir en un instant, il y a souvent un petit côté "développement personnel" et puis faut pas hésiter à avoir la main lourde sur la spiritualité. [...]

Rédigé par Nota Bene

Publié dans #Je lis

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